Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 3

Espace culturel du Vieux Moulin, Salle Mermet III, Av. de Taillecou 2, 1162 Sant-Prex Avenue de Taillecou 2, Saint Prex, Vaud, Suisse

Episode 3 Les Esprits de la terre (extrait)
— Où étiez-vous hier soir, reprit-elle. N’êtes-vous pas heu- reux chez nous? Mais non, toujours à l’écurie, ou couché sur le sable. Un bien mauvais exemple pour les enfants, moi je trouve.
— Eh bien, dit-il, si je m’en allais ?
— À la Maison d’En Haut ? Vous arrivez à peine.
— Non, ailleurs, je ne sais pas... Mais être chez moi.
— Vraiment ? Et habiter où ?
Oui, où? Fraidaigue? La Maison d’En Haut? Et Eugène alors, et Adolphe ?
— Être chez moi, répéta-t-il tout bas, comme s’il était seul. Avoir des enfants.
— Avoir des enfants, vous, César ?
Madame le regarda très attentivement. Puis on vit à certains signes qu’elle allait se mettre à rire. Elle rit en effet, les vitres de l’écurie tremblèrent quoiqu’elle eût été construite très solidement par Armand le père d’Armand, le bâtis- seur; Rim et Rime sortirent de leur porcherie et mirent leurs mains de champ sur leurs yeux, une vitre tomba chez la messagère, elle frissonna, clouée sur son lit dans sa belle robe verte. César leva sa fourche, embrocha Sémiramis qui s’arrêta net de rire et prit un air stupéfait qu’elle garda, ses grandes mains blanches d’emmurée pendant stupidement le long de ses flancs tandis qu’il la portait à bout de bras vers le fumier. Qu’elle était lourde ! Les bottines pleines de pierres ! «Tu vois, disait-elle triomphalement le soir en se déchaus- sant dans la chambre à coucher, tu vois, il ne sort plus le soir. »

Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 3

Maison de Quartier Sous-Gare Avenue Dapples 50, Lausanne

Episode 3 Les Esprits de la terre (extrait)
— Où étiez-vous hier soir, reprit-elle. N’êtes-vous pas heu- reux chez nous? Mais non, toujours à l’écurie, ou couché sur le sable. Un bien mauvais exemple pour les enfants, moi je trouve.
— Eh bien, dit-il, si je m’en allais ?
— À la Maison d’En Haut ? Vous arrivez à peine.
— Non, ailleurs, je ne sais pas... Mais être chez moi.
— Vraiment ? Et habiter où ?
Oui, où? Fraidaigue? La Maison d’En Haut? Et Eugène alors, et Adolphe ?
— Être chez moi, répéta-t-il tout bas, comme s’il était seul. Avoir des enfants.
— Avoir des enfants, vous, César ?
Madame le regarda très attentivement. Puis on vit à certains signes qu’elle allait se mettre à rire. Elle rit en effet, les vitres de l’écurie tremblèrent quoiqu’elle eût été construite très solidement par Armand le père d’Armand, le bâtis- seur; Rim et Rime sortirent de leur porcherie et mirent leurs mains de champ sur leurs yeux, une vitre tomba chez la messagère, elle frissonna, clouée sur son lit dans sa belle robe verte. César leva sa fourche, embrocha Sémiramis qui s’arrêta net de rire et prit un air stupéfait qu’elle garda, ses grandes mains blanches d’emmurée pendant stupidement le long de ses flancs tandis qu’il la portait à bout de bras vers le fumier. Qu’elle était lourde ! Les bottines pleines de pierres ! «Tu vois, disait-elle triomphalement le soir en se déchaussant dans la chambre à coucher, tu vois, il ne sort plus le soir. »

Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 4

Espace culturel du Vieux Moulin, Salle Mermet III, Av. de Taillecou 2, 1162 Sant-Prex Avenue de Taillecou 2, Saint Prex, Vaud, Suisse

Episode 4 Les Esprits de la terre (extrait)
Elle fondit en larmes. Elle n’était pas jolie, la peau jaune piquetée de rouge comme une truite, si elle avait filé entre deux eaux, à la bonne heure ! Mais elle vivait dans les chambres du Jura qui sentent la gentiane et la petite centaurée. Un tambour à vitres de couleur empêche l’air de pénétrer dans le vestibule dallé de gris et bleu, le ciel essaie en vain d’entrer de l’autre côté par les étroites fenêtres aux vitres triplées, car ils savent là-bas qu’il nage d’étranges poissons entre les étoiles ; sur la tablette, un psautier, un tricotage, des herbes sèches. « Ma fille, dit la mère qui a élevé Lord Arthur et qui voit souvent dans ses rêves le valet à grande bouche de grenouille et Lady Basil qui glisse vers les cabinets parfumés de pommes de pin où elle passe des heures à lire Shelley, ma fille, si tu veux être jolie, mets des abat-jour roses à tes lampes. » Pauvre Mélanie ! Elle a une grande bouche molle dont les mots sortent informes; chacun envahi d’un senti- ment d’impuissance garde les yeux fixés sur cette bouche qui travaille, le nez s’en mêle, les mots sortent du nez et sentent la fourmi.

Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 4

La Filature, Espace MarkdeFabrick, chemin de la Condémine, 1315 La Sarraz Chemin de la Condémine, La Sarraz, Vaud, Suisse

Episode 4 Les Esprits de la terre (extrait)
Elle fondit en larmes. Elle n’était pas jolie, la peau jaune piquetée de rouge comme une truite, si elle avait filé entre deux eaux, à la bonne heure ! Mais elle vivait dans les chambres du Jura qui sentent la gentiane et la petite centaurée. Un tambour à vitres de couleur empêche l’air de pénétrer dans le vestibule dallé de gris et bleu, le ciel essaie en vain d’entrer de l’autre côté par les étroites fenêtres aux vitres triplées, car ils savent là-bas qu’il nage d’étranges poissons entre les étoiles ; sur la tablette, un psautier, un tricotage, des herbes sèches. « Ma fille, dit la mère qui a élevé Lord Arthur et qui voit souvent dans ses rêves le valet à grande bouche de grenouille et Lady Basil qui glisse vers les cabinets parfumés de pommes de pin où elle passe des heures à lire Shelley, ma fille, si tu veux être jolie, mets des abat-jour roses à tes lampes. » Pauvre Mélanie ! Elle a une grande bouche molle dont les mots sortent informes; chacun envahi d’un senti- ment d’impuissance garde les yeux fixés sur cette bouche qui travaille, le nez s’en mêle, les mots sortent du nez et sentent la fourmi.

Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 4

Maison de Quartier Sous-Gare Avenue Dapples 50, Lausanne

Episode 4 Les Esprits de la terre (extrait)
Elle fondit en larmes. Elle n’était pas jolie, la peau jaune piquetée de rouge comme une truite, si elle avait filé entre deux eaux, à la bonne heure ! Mais elle vivait dans les chambres du Jura qui sentent la gentiane et la petite centaurée. Un tambour à vitres de couleur empêche l’air de pénétrer dans le vestibule dallé de gris et bleu, le ciel essaie en vain d’entrer de l’autre côté par les étroites fenêtres aux vitres triplées, car ils savent là-bas qu’il nage d’étranges poissons entre les étoiles ; sur la tablette, un psautier, un tricotage, des herbes sèches. « Ma fille, dit la mère qui a élevé Lord Arthur et qui voit souvent dans ses rêves le valet à grande bouche de grenouille et Lady Basil qui glisse vers les cabinets parfumés de pommes de pin où elle passe des heures à lire Shelley, ma fille, si tu veux être jolie, mets des abat-jour roses à tes lampes. » Pauvre Mélanie ! Elle a une grande bouche molle dont les mots sortent informes; chacun envahi d’un senti- ment d’impuissance garde les yeux fixés sur cette bouche qui travaille, le nez s’en mêle, les mots sortent du nez et sentent la fourmi.

Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 5

La Filature, Espace MarkdeFabrick, chemin de la Condémine, 1315 La Sarraz Chemin de la Condémine, La Sarraz, Vaud, Suisse

Episode 5 Les Esprits de la terre (extrait)
— Il va pleuvoir, dit Béat.
Il proposa de se mettre à l’abri sous un arbre.
— Pas un noyer, le noyer attire la foudre. Vous avez de beaux noyers chez vous, Mademoiselle Zoé.
— Mais ce n’est pas chez moi, c’est chez mon frère, Adolphe.
— Mais où est-ce chez vous alors ?
— Nulle part.
Il donna d’un air méditatif un coup de pied vigoureux à une pomme de terre tombée d’un char, en murmurant: « Fous le camp ».
— Mais vous avez pourtant un chez-vous, reprit-il avec l’opiniâtreté bernoise.
— Mais non, c’est comme César, mon autre frère, il est invité ici et là, les autres habitent les deux domaines, ils sont mariés ou fiancés, vous comprenez.
— Mais vous avez pourtant une part, répétait-il. Il s’irritait, son cor le faisait souffrir. Elle expliqua, s’en étonnant elle-même à mesure, qu’elle ne possédait rien, « oh ! mais ils me donnent tout ce que je veux», qu’elle avait seule- ment quelques meubles dans un galetas, pas la commode Louis XV en tous cas, ni l’écharpe écossaise. (« Vous êtes trop vieille, Zoé, pour l’écharpe écossaise, vous devriez la laisser à Isabelle, moi je trouve. »)
— Vraiment ? Vraiment ? répétait Béat d’un air distrait, tordant son nez charnu.
Zoé cependant parlait du lac, de la grève et du château où elle était née. Ce château, qui n’est même pas à elle ! Ce soi- disant, prétendu château. Savait-on même s’il existait ?
César, à l’extrême bord de la propriété, les bras croisés appuyés sur la haie, « où sont, où sont les enfants », se demandait-il en regardant l’immense église d’or se fondre dans la nuit. Aussi loin que la vue s’étendait, la terre était chargée, encombrée d’herbes, de joubarbe, de graminées.
—C’est votre frère là-bas? Un original, dit sévèrement Béat.
Comme Zoé ramenait la conversation sur le château de ses parents, un tel ennui le saisit qu’il prit soudain, soule- vant son canotier et murmurant une excuse : « Retrouver des amis... » le chemin herbeux qui suivait le flanc de la colline et passait devant le cimetière interdit aux enfants et aux chiens. Des chiens debout appuyés au mur couvert de mousse, un peu de salive coulait de leur gueule haletante, leurs pattes pendaient vers le champ de repos. Béat cria encore entre haut et bas : « Fous le camp » à une Bintje1 tombée sur la sente tracée par les chars, rentra assez mécontent dans sa chambre où une lavette séchait sur une ficelle tendue à la fenêtre, et ne revint jamais.

Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 5

Espace culturel du Vieux Moulin, Salle Mermet III, Av. de Taillecou 2, 1162 Sant-Prex Avenue de Taillecou 2, Saint Prex, Vaud, Suisse

Episode 5 Les Esprits de la terre (extrait)
— Il va pleuvoir, dit Béat.
Il proposa de se mettre à l’abri sous un arbre.
— Pas un noyer, le noyer attire la foudre. Vous avez de beaux noyers chez vous, Mademoiselle Zoé.
— Mais ce n’est pas chez moi, c’est chez mon frère, Adolphe.
— Mais où est-ce chez vous alors ?
— Nulle part.
Il donna d’un air méditatif un coup de pied vigoureux à une pomme de terre tombée d’un char, en murmurant: « Fous le camp ».
— Mais vous avez pourtant un chez-vous, reprit-il avec l’opiniâtreté bernoise.
— Mais non, c’est comme César, mon autre frère, il est invité ici et là, les autres habitent les deux domaines, ils sont mariés ou fiancés, vous comprenez.
— Mais vous avez pourtant une part, répétait-il. Il s’irritait, son cor le faisait souffrir. Elle expliqua, s’en étonnant elle-même à mesure, qu’elle ne possédait rien, « oh ! mais ils me donnent tout ce que je veux», qu’elle avait seule- ment quelques meubles dans un galetas, pas la commode Louis XV en tous cas, ni l’écharpe écossaise. (« Vous êtes trop vieille, Zoé, pour l’écharpe écossaise, vous devriez la laisser à Isabelle, moi je trouve. »)
— Vraiment ? Vraiment ? répétait Béat d’un air distrait, tordant son nez charnu.
Zoé cependant parlait du lac, de la grève et du château où elle était née. Ce château, qui n’est même pas à elle ! Ce soi- disant, prétendu château. Savait-on même s’il existait ?
César, à l’extrême bord de la propriété, les bras croisés appuyés sur la haie, « où sont, où sont les enfants », se demandait-il en regardant l’immense église d’or se fondre dans la nuit. Aussi loin que la vue s’étendait, la terre était chargée, encombrée d’herbes, de joubarbe, de graminées.
—C’est votre frère là-bas? Un original, dit sévèrement Béat.
Comme Zoé ramenait la conversation sur le château de ses parents, un tel ennui le saisit qu’il prit soudain, soule- vant son canotier et murmurant une excuse : « Retrouver des amis... » le chemin herbeux qui suivait le flanc de la colline et passait devant le cimetière interdit aux enfants et aux chiens. Des chiens debout appuyés au mur couvert de mousse, un peu de salive coulait de leur gueule haletante, leurs pattes pendaient vers le champ de repos. Béat cria encore entre haut et bas : « Fous le camp » à une Bintje tombée sur la sente tracée par les chars, rentra assez mécontent dans sa chambre où une lavette séchait sur une ficelle tendue à la fenêtre, et ne revint jamais.

Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 5

Maison de Quartier Sous-Gare Avenue Dapples 50, Lausanne

Episode 5 Les Esprits de la terre (extrait)
— Il va pleuvoir, dit Béat.
Il proposa de se mettre à l’abri sous un arbre.
— Pas un noyer, le noyer attire la foudre. Vous avez de beaux noyers chez vous, Mademoiselle Zoé.
— Mais ce n’est pas chez moi, c’est chez mon frère, Adolphe.
— Mais où est-ce chez vous alors ?
— Nulle part.
Il donna d’un air méditatif un coup de pied vigoureux à une pomme de terre tombée d’un char, en murmurant: « Fous le camp ».
— Mais vous avez pourtant un chez-vous, reprit-il avec l’opiniâtreté bernoise.
— Mais non, c’est comme César, mon autre frère, il est invité ici et là, les autres habitent les deux domaines, ils sont mariés ou fiancés, vous comprenez.
— Mais vous avez pourtant une part, répétait-il. Il s’irritait, son cor le faisait souffrir. Elle expliqua, s’en étonnant elle-même à mesure, qu’elle ne possédait rien, « oh ! mais ils me donnent tout ce que je veux», qu’elle avait seule- ment quelques meubles dans un galetas, pas la commode Louis XV en tous cas, ni l’écharpe écossaise. (« Vous êtes trop vieille, Zoé, pour l’écharpe écossaise, vous devriez la laisser à Isabelle, moi je trouve. »)
— Vraiment ? Vraiment ? répétait Béat d’un air distrait, tordant son nez charnu.
Zoé cependant parlait du lac, de la grève et du château où elle était née. Ce château, qui n’est même pas à elle ! Ce soi- disant, prétendu château. Savait-on même s’il existait ?
César, à l’extrême bord de la propriété, les bras croisés appuyés sur la haie, « où sont, où sont les enfants », se demandait-il en regardant l’immense église d’or se fondre dans la nuit. Aussi loin que la vue s’étendait, la terre était chargée, encombrée d’herbes, de joubarbe, de graminées.
—C’est votre frère là-bas? Un original, dit sévèrement Béat.
Comme Zoé ramenait la conversation sur le château de ses parents, un tel ennui le saisit qu’il prit soudain, soule- vant son canotier et murmurant une excuse : « Retrouver des amis... » le chemin herbeux qui suivait le flanc de la colline et passait devant le cimetière interdit aux enfants et aux chiens. Des chiens debout appuyés au mur couvert de mousse, un peu de salive coulait de leur gueule haletante, leurs pattes pendaient vers le champ de repos. Béat cria encore entre haut et bas : « Fous le camp » à une Bintje tombée sur la sente tracée par les chars, rentra assez mécontent dans sa chambre où une lavette séchait sur une ficelle tendue à la fenêtre, et ne revint jamais.

Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 6

La Filature, Espace MarkdeFabrick, chemin de la Condémine, 1315 La Sarraz Chemin de la Condémine, La Sarraz, Vaud, Suisse

Episode 6 Les Esprits de la terre (extrait)
César prenait le chemin de la gare que Valà-Valà descendit pour demander Adolphe en mariage. Ah ! S’il s’était un peu dépêché ce jour-là ! S’il avait arraché plus rapidement l’escargot rayé qui pendait à sa mèche rousse! N’y pensons plus. Est-ce qu’on se marie par amour? demandait en ricanant le vieil oncle veuf qui s’efforçait de cuire des œufs sur le fer à repasser encore chaud et retourné. Voilà la fille de l’adventiste! Mon Dieu, la voilà ! Cette fois il n’y a pas moyen de l’éviter, le dé en est jeté, imbécile, pourquoi venir de ce côté? Le monde entier s’étend de l’autre. Il ne reste qu’une chose à faire, c’est de prendre garde de la demander en mariage. Elle rentrait de la ville, allait enfiler l’avenue de leur clinique, mais sa jarretelle décousue la força à se cacher quelques minutes derrière la haie pour l’épingler, et voilà qu’elle se heurta à Monsieur César! Elle portait un gros paquet, ils étaient trop pauvres pour payer la messagère et bien leur en prit car on ne sut jamais exactement le rôle qu’elle joua pour les habitants de Fraidaigue, c’était à croire qu’elle rôdait la nuit le long de la corniche, sinon comment aurait-elle vu le malheureux Eugène, à ce qu’elle raconta à sa tendre amie la Gibaude, suspendu par la ceinture à un crochet le soir des noces de César, et Madame, un pied en avant, les mains derrière le dos, qui souriait ? C’est paraît-il ce qu’elle aperçut dans leur chambre à coucher.
— Que faites-vous là ? demanda stupidement César.
— Je me promène, dit-elle en dissimulant son paquet.
— Vous avez de la chance.
— Oh, c’est père qui baptise le samedi matin dans le lac et c’est mère qui tient le ménage.
— Et votre jolie sœur ?... C’est vous l’aînée, n’est-ce pas ?
Est-ce que vous n’aimeriez pas bientôt avoir un ménage? continua-t-il distraitement en dessinant des huit avec son soulier. La fille laissa tomber son paquet, joignit les mains, dit: « Oh, Monsieur César ! » s’approcha et posa la tête sur son épaule. « Il y a si longtemps... Mais vous ne faisiez pas attention à moi...» Comme elle pleurait facilement, ses yeux étaient verts et rouges, mais son teint, vu de près, velouté.

Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 6

Espace culturel du Vieux Moulin, Salle Mermet III, Av. de Taillecou 2, 1162 Sant-Prex Avenue de Taillecou 2, Saint Prex, Vaud, Suisse

Episode 6 Les Esprits de la terre (extrait)
César prenait le chemin de la gare que Valà-Valà descendit pour demander Adolphe en mariage. Ah ! S’il s’était un peu dépêché ce jour-là ! S’il avait arraché plus rapidement l’escargot rayé qui pendait à sa mèche rousse! N’y pensons plus. Est-ce qu’on se marie par amour? demandait en ricanant le vieil oncle veuf qui s’efforçait de cuire des œufs sur le fer à repasser encore chaud et retourné. Voilà la fille de l’adventiste! Mon Dieu, la voilà ! Cette fois il n’y a pas moyen de l’éviter, le dé en est jeté, imbécile, pourquoi venir de ce côté? Le monde entier s’étend de l’autre. Il ne reste qu’une chose à faire, c’est de prendre garde de la demander en mariage. Elle rentrait de la ville, allait enfiler l’avenue de leur clinique, mais sa jarretelle décousue la força à se cacher quelques minutes derrière la haie pour l’épingler, et voilà qu’elle se heurta à Monsieur César! Elle portait un gros paquet, ils étaient trop pauvres pour payer la messagère et bien leur en prit car on ne sut jamais exactement le rôle qu’elle joua pour les habitants de Fraidaigue, c’était à croire qu’elle rôdait la nuit le long de la corniche, sinon comment aurait-elle vu le malheureux Eugène, à ce qu’elle raconta à sa tendre amie la Gibaude, suspendu par la ceinture à un crochet le soir des noces de César, et Madame, un pied en avant, les mains derrière le dos, qui souriait ? C’est paraît-il ce qu’elle aperçut dans leur chambre à coucher.
— Que faites-vous là ? demanda stupidement César.
— Je me promène, dit-elle en dissimulant son paquet.
— Vous avez de la chance.
— Oh, c’est père qui baptise le samedi matin dans le lac et c’est mère qui tient le ménage.
— Et votre jolie sœur ?... C’est vous l’aînée, n’est-ce pas ?
Est-ce que vous n’aimeriez pas bientôt avoir un ménage? continua-t-il distraitement en dessinant des huit avec son soulier. La fille laissa tomber son paquet, joignit les mains, dit: « Oh, Monsieur César ! » s’approcha et posa la tête sur son épaule. « Il y a si longtemps... Mais vous ne faisiez pas attention à moi...» Comme elle pleurait facilement, ses yeux étaient verts et rouges, mais son teint, vu de près, velouté.

Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 6

Maison de Quartier Sous-Gare Avenue Dapples 50, Lausanne

Episode 6 Les Esprits de la terre (extrait)
César prenait le chemin de la gare que Valà-Valà descendit pour demander Adolphe en mariage. Ah ! S’il s’était un peu dépêché ce jour-là ! S’il avait arraché plus rapidement l’escargot rayé qui pendait à sa mèche rousse! N’y pensons plus. Est-ce qu’on se marie par amour? demandait en ricanant le vieil oncle veuf qui s’efforçait de cuire des œufs sur le fer à repasser encore chaud et retourné. Voilà la fille de l’adventiste! Mon Dieu, la voilà ! Cette fois il n’y a pas moyen de l’éviter, le dé en est jeté, imbécile, pourquoi venir de ce côté? Le monde entier s’étend de l’autre. Il ne reste qu’une chose à faire, c’est de prendre garde de la demander en mariage. Elle rentrait de la ville, allait enfiler l’avenue de leur clinique, mais sa jarretelle décousue la força à se cacher quelques minutes derrière la haie pour l’épingler, et voilà qu’elle se heurta à Monsieur César! Elle portait un gros paquet, ils étaient trop pauvres pour payer la messagère et bien leur en prit car on ne sut jamais exactement le rôle qu’elle joua pour les habitants de Fraidaigue, c’était à croire qu’elle rôdait la nuit le long de la corniche, sinon comment aurait-elle vu le malheureux Eugène, à ce qu’elle raconta à sa tendre amie la Gibaude, suspendu par la ceinture à un crochet le soir des noces de César, et Madame, un pied en avant, les mains derrière le dos, qui souriait ? C’est paraît-il ce qu’elle aperçut dans leur chambre à coucher.
— Que faites-vous là ? demanda stupidement César.
— Je me promène, dit-elle en dissimulant son paquet.
— Vous avez de la chance.
— Oh, c’est père qui baptise le samedi matin dans le lac et c’est mère qui tient le ménage.
— Et votre jolie sœur ?... C’est vous l’aînée, n’est-ce pas ?
Est-ce que vous n’aimeriez pas bientôt avoir un ménage? continua-t-il distraitement en dessinant des huit avec son soulier. La fille laissa tomber son paquet, joignit les mains, dit: « Oh, Monsieur César ! » s’approcha et posa la tête sur son épaule. « Il y a si longtemps... Mais vous ne faisiez pas attention à moi...» Comme elle pleurait facilement, ses yeux étaient verts et rouges, mais son teint, vu de près, velouté.

Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 7

La Filature, Espace MarkdeFabrick, chemin de la Condémine, 1315 La Sarraz Chemin de la Condémine, La Sarraz, Vaud, Suisse

Episode 7 Les Esprits de la terre (extrait)
César rit tout seul, mais redevint sérieux en pensant soudain que dans ce pays couvert d’une brume toujours plus épaisse où il marchait en trébuchant sur des résidus, des fragments, des tentatives abandonnées, il risquait de rencontrer près des enfants l’odieux petit ogre? Fait curieux, sa mémoire obscurcie ne lui rappela qu’avec difficulté que le petit ogre était tombé du noyer, que sa tête avait éclaté sur la pierre du réservoir, et que brûlé dans un four crématoire il n’en resta qu’une poignée de cendres enfermées par sa mère dans un sac de satin et portées dans son réticule. Tandis que les enfants, ils vivaient, eux, honorés comme des orphelins. À la place d’honneur dans leurs fêtes. Leurs cortèges. Déjà, même sur cette terre à lumière de fer-blanc où il reviendrait quand il voudrait, l’œil de la caméra dépistait des troupes d’enfants, des bandes, des hordes, sous les ponts de Rome, sur les places de l’URSS, au bord des lacs et des mers, serrés, pressés entre deux guerres, et les cygnes affairés et stupides se frayaient un passage à tra- vers leur foule menaçante et retournaient un poisson de leur bec orange et spatulé. Mais les adultes se bouchaient les yeux et les oreilles pour ne les voir ni les entendre, ils déménageaient sans cesse afin de ne pas naître, vivre et mourir dans la même maison où ils risqueraient de rencontrer le soir les enfants descendant l’escalier de bois à peine éclairé par le soupirail de la vieille cuisine. Cependant la brume devenait d’une épaisseur à couper au couteau, le courageux nomade essaya de revenir sur ses pas, mais le temps qui s’étirait comme un élastique le frappait cruellement au visage, le sang coulait sur ses habits, sur cette effrayante houppelande grise. Avis à ceux qui ont envie de quitter le plancher des vaches !