Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 1

Espace culturel du Vieux Moulin, Salle Mermet III, Av. de Taillecou 2, 1162 Sant-Prex Avenue de Taillecou 2, Saint Prex, Vaud, Suisse

Episode 1 Les Esprits de la terre (extrait)
— Ah ! Ce César c’est ma croix, c’est...
— Mais ma bonne s’il nous réclamait sa part ?
— Sa part ! Il y a beau temps qu’il l’a mangée depuis vingt-
cinq ans qu’il mange à notre table et couche dans mes draps. Et je te demande un peu, comment marier Isabelle avec cet individu dans la famille ? Pense à cet officier français ; elle croyait déjà... Elle brodait le filet du matin au soir parce qu’il lui disait : « Oh ! Mademoiselle Isabelle, vous ne faites pas de filet ? Chez nous toutes les jeunes filles... » Pourquoi est-il parti, cet officier, sans crier gare ? Et Benjamin ? Elle lisait tous les livres parus sur la mission de Bâle1. Et Julien? Oh! Oh! César ma croix!
Elle se mit à gémir si fortement que les villageois effrayés passèrent la tête à la fenêtre : « C’est la baronne. Qu’est-ce qu’elle a? Pourvu que nos vitres ne tombent pas comme l’autre jour ! »

Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 2

Maison de Quartier Sous-Gare Avenue Dapples 50, Lausanne

Episode 2 Les Esprits de la terre (extrait)
Est-ce qu’il leur avait seulement dit bonjour? Mais non, il jurait après le tas de bois. Et quand ils allaient à l’église le dimanche, il leur faisait honte. « Toujours à marcher derrière dans cette vieille veste de velours. » C’est qu’il essayait de mar- cher sur l’ombre de Madame, après avoir évité celle de la tour abolie1 d’où la tourterelle était tombée en voulant cueillir du capillaire. «Regarde, sa valise est plantée sur la terrasse. Et lui? Je parie qu’il est déjà couché sur la grève.» Elle traversa majestueusement la maison. César, couché sur la grève, sen- tait avec délices la terre nue céder sous son poids; il soule- vait quelques pierres roses et grises que les vagues de mars avaient apportées et contemplait le ciel peuplé de fenêtres bleues et d’anges en trompe-l’œil. Il pensait au firmament de novembre, mieux accordé à sa vie misérable, ces rideaux qui s’écartent lentement sur un ciel peint de couleurs sombres qu’un oiseau solitaire traverse en allongeant son long cou. Une guêpe indolente sortant de l’obscurité de l’hiver se traî- nait sur la grève, les sphères se traînaient ainsi sur le seuil, se réchauffaient au premier soleil du monde et s’envolaient lourdement, les pattes engluées, prendre leur place dans l’univers.

Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 2

La Filature, Espace MarkdeFabrick, chemin de la Condémine, 1315 La Sarraz Chemin de la Condémine, La Sarraz, Vaud, Suisse

Episode 2 Les Esprits de la terre (extrait)
Est-ce qu’il leur avait seulement dit bonjour? Mais non, il jurait après le tas de bois. Et quand ils allaient à l’église le dimanche, il leur faisait honte. « Toujours à marcher derrière dans cette vieille veste de velours. » C’est qu’il essayait de mar- cher sur l’ombre de Madame, après avoir évité celle de la tour abolie1 d’où la tourterelle était tombée en voulant cueillir du capillaire. «Regarde, sa valise est plantée sur la terrasse. Et lui? Je parie qu’il est déjà couché sur la grève.» Elle traversa majestueusement la maison. César, couché sur la grève, sen- tait avec délices la terre nue céder sous son poids; il soule- vait quelques pierres roses et grises que les vagues de mars avaient apportées et contemplait le ciel peuplé de fenêtres bleues et d’anges en trompe-l’œil. Il pensait au firmament de novembre, mieux accordé à sa vie misérable, ces rideaux qui s’écartent lentement sur un ciel peint de couleurs sombres qu’un oiseau solitaire traverse en allongeant son long cou. Une guêpe indolente sortant de l’obscurité de l’hiver se traî- nait sur la grève, les sphères se traînaient ainsi sur le seuil, se réchauffaient au premier soleil du monde et s’envolaient lourdement, les pattes engluées, prendre leur place dans l’univers.

Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 2

Espace culturel du Vieux Moulin, Salle Mermet III, Av. de Taillecou 2, 1162 Sant-Prex Avenue de Taillecou 2, Saint Prex, Vaud, Suisse

Episode 2 Les Esprits de la terre (extrait)
Est-ce qu’il leur avait seulement dit bonjour? Mais non, il jurait après le tas de bois. Et quand ils allaient à l’église le dimanche, il leur faisait honte. « Toujours à marcher derrière dans cette vieille veste de velours. » C’est qu’il essayait de mar- cher sur l’ombre de Madame, après avoir évité celle de la tour abolie1 d’où la tourterelle était tombée en voulant cueillir du capillaire. «Regarde, sa valise est plantée sur la terrasse. Et lui? Je parie qu’il est déjà couché sur la grève.» Elle traversa majestueusement la maison. César, couché sur la grève, sen- tait avec délices la terre nue céder sous son poids; il soule- vait quelques pierres roses et grises que les vagues de mars avaient apportées et contemplait le ciel peuplé de fenêtres bleues et d’anges en trompe-l’œil. Il pensait au firmament de novembre, mieux accordé à sa vie misérable, ces rideaux qui s’écartent lentement sur un ciel peint de couleurs sombres qu’un oiseau solitaire traverse en allongeant son long cou. Une guêpe indolente sortant de l’obscurité de l’hiver se traî- nait sur la grève, les sphères se traînaient ainsi sur le seuil, se réchauffaient au premier soleil du monde et s’envolaient lourdement, les pattes engluées, prendre leur place dans l’univers.

Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 3

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Episode 3 Les Esprits de la terre (extrait)
— Où étiez-vous hier soir, reprit-elle. N’êtes-vous pas heu- reux chez nous? Mais non, toujours à l’écurie, ou couché sur le sable. Un bien mauvais exemple pour les enfants, moi je trouve.
— Eh bien, dit-il, si je m’en allais ?
— À la Maison d’En Haut ? Vous arrivez à peine.
— Non, ailleurs, je ne sais pas... Mais être chez moi.
— Vraiment ? Et habiter où ?
Oui, où? Fraidaigue? La Maison d’En Haut? Et Eugène alors, et Adolphe ?
— Être chez moi, répéta-t-il tout bas, comme s’il était seul. Avoir des enfants.
— Avoir des enfants, vous, César ?
Madame le regarda très attentivement. Puis on vit à certains signes qu’elle allait se mettre à rire. Elle rit en effet, les vitres de l’écurie tremblèrent quoiqu’elle eût été construite très solidement par Armand le père d’Armand, le bâtis- seur; Rim et Rime sortirent de leur porcherie et mirent leurs mains de champ sur leurs yeux, une vitre tomba chez la messagère, elle frissonna, clouée sur son lit dans sa belle robe verte. César leva sa fourche, embrocha Sémiramis qui s’arrêta net de rire et prit un air stupéfait qu’elle garda, ses grandes mains blanches d’emmurée pendant stupidement le long de ses flancs tandis qu’il la portait à bout de bras vers le fumier. Qu’elle était lourde ! Les bottines pleines de pierres ! «Tu vois, disait-elle triomphalement le soir en se déchaus- sant dans la chambre à coucher, tu vois, il ne sort plus le soir. »

Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 3

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Episode 3 Les Esprits de la terre (extrait)
— Où étiez-vous hier soir, reprit-elle. N’êtes-vous pas heu- reux chez nous? Mais non, toujours à l’écurie, ou couché sur le sable. Un bien mauvais exemple pour les enfants, moi je trouve.
— Eh bien, dit-il, si je m’en allais ?
— À la Maison d’En Haut ? Vous arrivez à peine.
— Non, ailleurs, je ne sais pas... Mais être chez moi.
— Vraiment ? Et habiter où ?
Oui, où? Fraidaigue? La Maison d’En Haut? Et Eugène alors, et Adolphe ?
— Être chez moi, répéta-t-il tout bas, comme s’il était seul. Avoir des enfants.
— Avoir des enfants, vous, César ?
Madame le regarda très attentivement. Puis on vit à certains signes qu’elle allait se mettre à rire. Elle rit en effet, les vitres de l’écurie tremblèrent quoiqu’elle eût été construite très solidement par Armand le père d’Armand, le bâtis- seur; Rim et Rime sortirent de leur porcherie et mirent leurs mains de champ sur leurs yeux, une vitre tomba chez la messagère, elle frissonna, clouée sur son lit dans sa belle robe verte. César leva sa fourche, embrocha Sémiramis qui s’arrêta net de rire et prit un air stupéfait qu’elle garda, ses grandes mains blanches d’emmurée pendant stupidement le long de ses flancs tandis qu’il la portait à bout de bras vers le fumier. Qu’elle était lourde ! Les bottines pleines de pierres ! «Tu vois, disait-elle triomphalement le soir en se déchaus- sant dans la chambre à coucher, tu vois, il ne sort plus le soir. »

Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 3

Maison de Quartier Sous-Gare Avenue Dapples 50, Lausanne

Episode 3 Les Esprits de la terre (extrait)
— Où étiez-vous hier soir, reprit-elle. N’êtes-vous pas heu- reux chez nous? Mais non, toujours à l’écurie, ou couché sur le sable. Un bien mauvais exemple pour les enfants, moi je trouve.
— Eh bien, dit-il, si je m’en allais ?
— À la Maison d’En Haut ? Vous arrivez à peine.
— Non, ailleurs, je ne sais pas... Mais être chez moi.
— Vraiment ? Et habiter où ?
Oui, où? Fraidaigue? La Maison d’En Haut? Et Eugène alors, et Adolphe ?
— Être chez moi, répéta-t-il tout bas, comme s’il était seul. Avoir des enfants.
— Avoir des enfants, vous, César ?
Madame le regarda très attentivement. Puis on vit à certains signes qu’elle allait se mettre à rire. Elle rit en effet, les vitres de l’écurie tremblèrent quoiqu’elle eût été construite très solidement par Armand le père d’Armand, le bâtis- seur; Rim et Rime sortirent de leur porcherie et mirent leurs mains de champ sur leurs yeux, une vitre tomba chez la messagère, elle frissonna, clouée sur son lit dans sa belle robe verte. César leva sa fourche, embrocha Sémiramis qui s’arrêta net de rire et prit un air stupéfait qu’elle garda, ses grandes mains blanches d’emmurée pendant stupidement le long de ses flancs tandis qu’il la portait à bout de bras vers le fumier. Qu’elle était lourde ! Les bottines pleines de pierres ! «Tu vois, disait-elle triomphalement le soir en se déchaussant dans la chambre à coucher, tu vois, il ne sort plus le soir. »

Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 4

Espace culturel du Vieux Moulin, Salle Mermet III, Av. de Taillecou 2, 1162 Sant-Prex Avenue de Taillecou 2, Saint Prex, Vaud, Suisse

Episode 4 Les Esprits de la terre (extrait)
Elle fondit en larmes. Elle n’était pas jolie, la peau jaune piquetée de rouge comme une truite, si elle avait filé entre deux eaux, à la bonne heure ! Mais elle vivait dans les chambres du Jura qui sentent la gentiane et la petite centaurée. Un tambour à vitres de couleur empêche l’air de pénétrer dans le vestibule dallé de gris et bleu, le ciel essaie en vain d’entrer de l’autre côté par les étroites fenêtres aux vitres triplées, car ils savent là-bas qu’il nage d’étranges poissons entre les étoiles ; sur la tablette, un psautier, un tricotage, des herbes sèches. « Ma fille, dit la mère qui a élevé Lord Arthur et qui voit souvent dans ses rêves le valet à grande bouche de grenouille et Lady Basil qui glisse vers les cabinets parfumés de pommes de pin où elle passe des heures à lire Shelley, ma fille, si tu veux être jolie, mets des abat-jour roses à tes lampes. » Pauvre Mélanie ! Elle a une grande bouche molle dont les mots sortent informes; chacun envahi d’un senti- ment d’impuissance garde les yeux fixés sur cette bouche qui travaille, le nez s’en mêle, les mots sortent du nez et sentent la fourmi.

Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 4

La Filature, Espace MarkdeFabrick, chemin de la Condémine, 1315 La Sarraz Chemin de la Condémine, La Sarraz, Vaud, Suisse

Episode 4 Les Esprits de la terre (extrait)
Elle fondit en larmes. Elle n’était pas jolie, la peau jaune piquetée de rouge comme une truite, si elle avait filé entre deux eaux, à la bonne heure ! Mais elle vivait dans les chambres du Jura qui sentent la gentiane et la petite centaurée. Un tambour à vitres de couleur empêche l’air de pénétrer dans le vestibule dallé de gris et bleu, le ciel essaie en vain d’entrer de l’autre côté par les étroites fenêtres aux vitres triplées, car ils savent là-bas qu’il nage d’étranges poissons entre les étoiles ; sur la tablette, un psautier, un tricotage, des herbes sèches. « Ma fille, dit la mère qui a élevé Lord Arthur et qui voit souvent dans ses rêves le valet à grande bouche de grenouille et Lady Basil qui glisse vers les cabinets parfumés de pommes de pin où elle passe des heures à lire Shelley, ma fille, si tu veux être jolie, mets des abat-jour roses à tes lampes. » Pauvre Mélanie ! Elle a une grande bouche molle dont les mots sortent informes; chacun envahi d’un senti- ment d’impuissance garde les yeux fixés sur cette bouche qui travaille, le nez s’en mêle, les mots sortent du nez et sentent la fourmi.

Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 4

Maison de Quartier Sous-Gare Avenue Dapples 50, Lausanne

Episode 4 Les Esprits de la terre (extrait)
Elle fondit en larmes. Elle n’était pas jolie, la peau jaune piquetée de rouge comme une truite, si elle avait filé entre deux eaux, à la bonne heure ! Mais elle vivait dans les chambres du Jura qui sentent la gentiane et la petite centaurée. Un tambour à vitres de couleur empêche l’air de pénétrer dans le vestibule dallé de gris et bleu, le ciel essaie en vain d’entrer de l’autre côté par les étroites fenêtres aux vitres triplées, car ils savent là-bas qu’il nage d’étranges poissons entre les étoiles ; sur la tablette, un psautier, un tricotage, des herbes sèches. « Ma fille, dit la mère qui a élevé Lord Arthur et qui voit souvent dans ses rêves le valet à grande bouche de grenouille et Lady Basil qui glisse vers les cabinets parfumés de pommes de pin où elle passe des heures à lire Shelley, ma fille, si tu veux être jolie, mets des abat-jour roses à tes lampes. » Pauvre Mélanie ! Elle a une grande bouche molle dont les mots sortent informes; chacun envahi d’un senti- ment d’impuissance garde les yeux fixés sur cette bouche qui travaille, le nez s’en mêle, les mots sortent du nez et sentent la fourmi.

Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 5

La Filature, Espace MarkdeFabrick, chemin de la Condémine, 1315 La Sarraz Chemin de la Condémine, La Sarraz, Vaud, Suisse

Episode 5 Les Esprits de la terre (extrait)
— Il va pleuvoir, dit Béat.
Il proposa de se mettre à l’abri sous un arbre.
— Pas un noyer, le noyer attire la foudre. Vous avez de beaux noyers chez vous, Mademoiselle Zoé.
— Mais ce n’est pas chez moi, c’est chez mon frère, Adolphe.
— Mais où est-ce chez vous alors ?
— Nulle part.
Il donna d’un air méditatif un coup de pied vigoureux à une pomme de terre tombée d’un char, en murmurant: « Fous le camp ».
— Mais vous avez pourtant un chez-vous, reprit-il avec l’opiniâtreté bernoise.
— Mais non, c’est comme César, mon autre frère, il est invité ici et là, les autres habitent les deux domaines, ils sont mariés ou fiancés, vous comprenez.
— Mais vous avez pourtant une part, répétait-il. Il s’irritait, son cor le faisait souffrir. Elle expliqua, s’en étonnant elle-même à mesure, qu’elle ne possédait rien, « oh ! mais ils me donnent tout ce que je veux», qu’elle avait seule- ment quelques meubles dans un galetas, pas la commode Louis XV en tous cas, ni l’écharpe écossaise. (« Vous êtes trop vieille, Zoé, pour l’écharpe écossaise, vous devriez la laisser à Isabelle, moi je trouve. »)
— Vraiment ? Vraiment ? répétait Béat d’un air distrait, tordant son nez charnu.
Zoé cependant parlait du lac, de la grève et du château où elle était née. Ce château, qui n’est même pas à elle ! Ce soi- disant, prétendu château. Savait-on même s’il existait ?
César, à l’extrême bord de la propriété, les bras croisés appuyés sur la haie, « où sont, où sont les enfants », se demandait-il en regardant l’immense église d’or se fondre dans la nuit. Aussi loin que la vue s’étendait, la terre était chargée, encombrée d’herbes, de joubarbe, de graminées.
—C’est votre frère là-bas? Un original, dit sévèrement Béat.
Comme Zoé ramenait la conversation sur le château de ses parents, un tel ennui le saisit qu’il prit soudain, soule- vant son canotier et murmurant une excuse : « Retrouver des amis... » le chemin herbeux qui suivait le flanc de la colline et passait devant le cimetière interdit aux enfants et aux chiens. Des chiens debout appuyés au mur couvert de mousse, un peu de salive coulait de leur gueule haletante, leurs pattes pendaient vers le champ de repos. Béat cria encore entre haut et bas : « Fous le camp » à une Bintje1 tombée sur la sente tracée par les chars, rentra assez mécontent dans sa chambre où une lavette séchait sur une ficelle tendue à la fenêtre, et ne revint jamais.

Lecture vivante et réjouissante de Les Esprits de la terre, de Catherine Colomb – Episode 5

Espace culturel du Vieux Moulin, Salle Mermet III, Av. de Taillecou 2, 1162 Sant-Prex Avenue de Taillecou 2, Saint Prex, Vaud, Suisse

Episode 5 Les Esprits de la terre (extrait)
— Il va pleuvoir, dit Béat.
Il proposa de se mettre à l’abri sous un arbre.
— Pas un noyer, le noyer attire la foudre. Vous avez de beaux noyers chez vous, Mademoiselle Zoé.
— Mais ce n’est pas chez moi, c’est chez mon frère, Adolphe.
— Mais où est-ce chez vous alors ?
— Nulle part.
Il donna d’un air méditatif un coup de pied vigoureux à une pomme de terre tombée d’un char, en murmurant: « Fous le camp ».
— Mais vous avez pourtant un chez-vous, reprit-il avec l’opiniâtreté bernoise.
— Mais non, c’est comme César, mon autre frère, il est invité ici et là, les autres habitent les deux domaines, ils sont mariés ou fiancés, vous comprenez.
— Mais vous avez pourtant une part, répétait-il. Il s’irritait, son cor le faisait souffrir. Elle expliqua, s’en étonnant elle-même à mesure, qu’elle ne possédait rien, « oh ! mais ils me donnent tout ce que je veux», qu’elle avait seule- ment quelques meubles dans un galetas, pas la commode Louis XV en tous cas, ni l’écharpe écossaise. (« Vous êtes trop vieille, Zoé, pour l’écharpe écossaise, vous devriez la laisser à Isabelle, moi je trouve. »)
— Vraiment ? Vraiment ? répétait Béat d’un air distrait, tordant son nez charnu.
Zoé cependant parlait du lac, de la grève et du château où elle était née. Ce château, qui n’est même pas à elle ! Ce soi- disant, prétendu château. Savait-on même s’il existait ?
César, à l’extrême bord de la propriété, les bras croisés appuyés sur la haie, « où sont, où sont les enfants », se demandait-il en regardant l’immense église d’or se fondre dans la nuit. Aussi loin que la vue s’étendait, la terre était chargée, encombrée d’herbes, de joubarbe, de graminées.
—C’est votre frère là-bas? Un original, dit sévèrement Béat.
Comme Zoé ramenait la conversation sur le château de ses parents, un tel ennui le saisit qu’il prit soudain, soule- vant son canotier et murmurant une excuse : « Retrouver des amis... » le chemin herbeux qui suivait le flanc de la colline et passait devant le cimetière interdit aux enfants et aux chiens. Des chiens debout appuyés au mur couvert de mousse, un peu de salive coulait de leur gueule haletante, leurs pattes pendaient vers le champ de repos. Béat cria encore entre haut et bas : « Fous le camp » à une Bintje tombée sur la sente tracée par les chars, rentra assez mécontent dans sa chambre où une lavette séchait sur une ficelle tendue à la fenêtre, et ne revint jamais.