« Tout a commencé quand j’ai eu l’appendicite. J’avais des loisirs que j’ai occupés.
Alors est arrivée la boîte à couleurs. J’avais 21 ans.
Je vous ai dit que ma convalescence avait été longue (en ce temps là, on n’opérait pas). Quand je me soignais chez mes parents, j’avais un voisin, directeur d’une petite fabrique de tissus. Il passait ses loisirs à peindre des chromos représentant des paysages suisses : le chalet devant les sapins et le ruisseau bouillonnant.
Il me disait : « Tu vois, finalement on a quelque chose au mur ». Voyant comme j’étais à charge moi-même pendant ma convalescence, mon ami me conseilla de me distraire comme lui. Cette idée ne plaisait pas à mon père, mais ma mère prit sur elle de m’acheter une boîte à couleurs contenant, dans le fond, deux petits chromos représentant l’un, un moulin à roue, et l’autre, l’entrée d’un hameau.
Avant je n’avais goût à rien. J’éprouvais une grande indifférence pour tout ce qu’on voulait me faire faire.
A partir du moment où j’ai eu cette boîte à couleurs dans les mains, j’ai senti que c’était là ma vie.
Comme une bête qui va à ce qu’elle aime, je me suis dirigé là-dedans, au désespoir bien compréhensible de mon père qui m’avait fait faire d’autres études.
C’était le grand attrait, l’espèce de Paradis trouvé dans lequel j’étais tout à fait libre, seul, tranquille, tandis que j’étais toujours un peu anxieux et ennuyé dans les différentes choses qu’on me faisait faire. »